31

« Elle avait, tu sais quoi ? du sperme dans la main ! »

Jemma avait été obligée de hurler pour dominer le grondement du moteur. Ils étaient partis à l’aube après avoir dormi sur des paillasses propres et relativement confortables. Les femmes avaient entraîné Jemma dans une pièce minuscule aux murs et au sol pavés de mosaïques, puis elles avaient apporté un grand bac empli d’eau chaude, l’avaient déshabillée et l’avaient lavée de la tête aux pieds, usant d’épongés rêches, de poudres végétales et d’huiles parfumées. Crispée au début, elle avait fini par s’abandonner au ballet ensorcelant des mains de Samira et d’Aïcha, qui avaient frotté et massé avec application chaque parcelle de son corps, y compris son cuir chevelu. Elles s’étaient parfois interrompues pour se lancer dans de véhémentes discussions portant visiblement sur les différences entre les Occidentales et les Orientales, sur le grain de la peau, sur la fermeté des seins, sur l’épilation des aisselles et du pubis… Puis les deux Turques l’avaient enveloppée dans des linges, installée sur une banquette, étaient revenues une demi-heure plus tard, l’avaient conduite dans une chambre, avaient désigné l’un des trois matelas et remplacé les linges humides par des étoffes sèches avant de la laisser seule. Elle s’était couchée et aussitôt endormie. Elles l’avaient réveillée le lendemain matin en lui tendant ses sous-vêtements propres, parfumés et encore imprégnés de la chaleur de la cheminée. Jemma leur avait adressé un sourire ému, elle n’avait pas trouvé d’autre façon de les remercier.

« Tu n’as vraiment rien vu ? »

Luc réfléchit, la tête penchée sur le côté. Sa barbe de plus en plus épaisse lui mangeait les joues et lui donnait, avec ses mèches emmêlées, ses traits chiffonnés et ses vêtements négligés, une allure de flibustier.

« Je me suis seulement dit qu’elle mettait un temps fou à desservir.

— À ton avis, quel homme ça pourrait être ? »

Luc marqua un temps de silence, les yeux plantés dans ceux de Jemma.

« Pas moi en tout cas, je m’en serais rendu compte ! Je pencherais pour Ali. Elle est restée un petit moment près de lui.

— Ça me paraît incroyable que les autres n’aient rien remarqué.

— On n’a pas arrêté de fumer, et pas du tabac, hein. On avait tous l’esprit en vrac. Et le mien l’est encore. »

Luc avait repéré un petit accroc sur la bâche, par lequel ils jetaient de temps à autre un coup d’œil à l’extérieur. Ils roulaient sur une piste enneigée bordée de précipices et de pics rocheux tourmentés par le vent et l’érosion. Ali et Hussein avaient expliqué, lors de la dernière halte, qu’ils éviteraient Ankara : Ankara, no, no, (ils avaient brandi leurs fusils d’assaut, ils s’étaient frappé la tempe de l’index pour signifier qu’il fallait être cinglé pour aller là-bas) bang, bang, bang (mains en protection devant le visage, mouvements d’esquive, les balles pouvaient surgir de partout). Luc et Jemma en avaient retenu que l’ex-capitale turque était devenue un endroit infréquentable. Bien que partiellement ou totalement détruites, les anciennes métropoles avaient gardé leur statut de point de ralliement. Les villes en ruine se prêtaient à merveille aux trafics et aux règlements de comptes. Les seigneurs de guerre et autres chefs de bandes pouvaient à loisir recruter dans le vivier des rescapés des bombardements. Il suffisait de fournir de la nourriture et un flingue à un pauvre bougre pour en faire un séide.

« On arrive en Cappadoce, murmura Luc, l’œil collé à la bâche. Mehmet Okur avait dit que l’hiver était moins rude dans le sud de la Turquie, mais ça n’a pas l’air de s’arranger. Il faudra que tu attendes encore un peu pour la chaleur. »

Le camion peinait dans les pentes les plus raides. Les convoyeurs n’avaient pas jugé nécessaire de poser des chaînes sur les roues, ou n’en avaient pas à leur disposition, et les sculptures de leurs pneus, pourtant profondes, se révélaient un peu justes dans les passages verglacés. Jemma avait déjà oublié le bien-être engendré par le massage de Samira et d’Aïcha, les frissons de plaisir semés sur sa peau par leurs mains expertes et les coulées d’eau chaude, les senteurs délicates des huiles et des poudres. Le froid et l’odeur de poisson l’imprégnaient jusqu’aux os. Elle ne se voyait pas, pourtant, revenir dans la tiédeur rassurante de sa maison Paul & Virginie. Même si elle retrouvait Manon – elle la retrouverait, l’évidence l’avait frappée sur le bateau de Ditmar, elle n’avait plus de doute à ce sujet – elle ne pourrait pas reprendre le cours de sa vie antérieure, se réinstaller dans les vêtements et les certitudes de la Jemma d’avant.

« Ennuis en perspective… »

Luc avait parlé à voix basse. Il se recula tout en continuant de fixer l’accroc dans la bâche. Le camion venait de s’arrêter, des hoquets secouaient le moteur qui tournait au ralenti. Des hurlements et des crépitements de fusils d’assaut retentirent de part et d’autre de la piste. Luc revint s’asseoir près de Jemma et lui glissa à l’oreille :

« Des villageois, ou des pillards. Ils viennent sans doute d’un bled proche. Il faut se planquer. »

D’une pression sur l’épaule, il invita Jemma à se coucher, s’allongea à ses côtés et tira les couvertures sur eux. Il ajouta, dans un souffle, qu’ils devaient maintenant rester complètement immobiles et silencieux. Jemma se demanda si les caisses de poissons, placées en paravent devant eux, suffiraient à les dissimuler aux yeux des pillards. Elle risquait d’être rapidement gagnée par les crampes si elle ne changeait pas de position. Elle déplaça son bras et sa jambe gauches centimètre après centimètre en s’efforçant de contrôler ses mouvements et sa respiration. Les bruits, dehors, se rapprochaient, crissements de chaussures sur la neige dure, cliquetis de pièces métalliques, voix entremêlées. Jemma tenta encore d’améliorer sa position, mais d’une nouvelle pression sur le poignet, Luc lui ordonna de ne plus bouger. Un claquement de portière. Elle reconnut la voix de Hussein. Impossible de savoir si le convoyeur et ses vis-à-vis se comprenaient. Le débit précipité, haché, de l’Irakien exprimait une émotion paroxystique, colère ou frayeur. Les autres lui répondirent avec la même véhémence, mais en turc. Jemma crut que leur dialogue de sourds allait s’achever en fusillade. Le souffle chaud de Luc lui effleurait le front et le nez, leurs corps se touchaient, et, malgré l’inconfort, malgré la tension, malgré la peur, elle sentit monter en elle le désir sous la triple épaisseur des couvertures qui dégageaient une odeur pestilentielle. Elle ne laissa pas cette fois passer sa chance. Il ne pouvait pas intervenir de toute façon. Elle glissa sa main sous le manteau de Luc avec une lenteur exaspérante, la faufila sous sa veste, sous son pull, sous son tee-shirt, elle toucha enfin son ventre comme une terre promise, sa douceur et sa chaleur l’émerveillèrent, elle garda sa paume plaquée sur sa peau, tout entière absorbée par ce contact, tandis que le brouhaha se déplaçait vers l’arrière du camion. Un homme grimpa dans la remorque, ses pas vibrèrent sur le plancher. Les autres, en contrebas, cessèrent de parler et de s’agiter. Les muscles de Luc se contractèrent sous les doigts de Jemma. Elle crut que chacune de leurs expirations résonnait comme une bourrasque dans le silence oppressant. Envie de tousser, d’éternuer, de hurler. Incroyable comme la gorge et le nez piquent, comme les démangeaisons se font tyranniques lorsqu’on est réduit à l’immobilité et au silence. Des tiraillements dans sa jambe et dans son bras annonçaient l’arrivée imminente de crampes. L’homme se rapprochait, le plancher craquait, tout près, moins d’un mètre sans doute. Jemma entrouvrit la bouche pour desserrer l’étau qui lui broyait la poitrine, ferma les yeux, un réflexe stupide, la peur encore, une balle dans la tête ou dans le ventre, fin de la route, ou, pire, l’intrus emporte les couvertures du canon de son arme, il les découvre là-dessous, il tue Luc comme on écrase une mouche, il la traîne au milieu des siens, ils la violent à tour de rôle, ils la droguent, ils la vendent à des réseaux d’Orient, elle finit sa vie dans un bordel, contaminée par le sida, guettée par la folie, elle oubliera jusqu’à son nom, et Manon, Manon… Quelqu’un lui saisit le poignet, lui écarte la main, les couvertures se soulèvent soudain, la lumière brutale lui blesse les yeux.

Luc, penché sur elle, lui posa l’index sur les lèvres. Il lui indiqua par gestes que les pillards s’éloignaient, qu’il fallait encore attendre un peu avant de parler. Elle n’avait pas entendu l’homme sortir de la remorque, comme si la frayeur avait tissé un cocon isolant autour d’elle. Elle remarqua, par l’entrebâillement du manteau et de la veste de Luc, qu’il n’avait pas rabattu son pull ni son tee-shirt. Elle ne regrettait pas d’avoir fait le premier pas. Les choses étaient maintenant claires. À lui de prendre l’initiative s’il le souhaitait – elle le souhaitait. Luc sourit, déboutonna son manteau, sa veste, remonta encore un peu son pull et son tee-shirt et désigna son ventre : elle lui avait planté ses ongles dans la peau, abandonnant une splendide marque rouge quelques centimètres au-dessus de son nombril. Il était resté de marbre malgré la douleur, il n’avait pas poussé un gémissement, pas un soupir.

Une silhouette sombre fit son apparition dans la remorque. Luc se rajusta précipitamment, Jemma se détendit lorsqu’elle reconnut Ali. Le convoyeur leur expliqua (petits coups répétés sur l’avant-bras) que les pillards s’étaient dispersés, qu’ils allaient maintenant reprendre la route. Il prononça le nom d’Osmaniye, dessina avec la main une succession de pics et de vallées et montra avec ses doigts qu’ils arriveraient dans deux jours. Quelques secondes après qu’il se fut éclipsé, le camion se lança à l’assaut d’un col qui se jetait dans un plafond de nuages noirs.

 

« Vraiment désolée, je ne me suis rendu compte de rien. »

Jemma avait demandé à revoir la tache rouge sur le ventre de Luc. Il s’était exécuté, elle avait distingué les sillons tracés par ses ongles, comme des griffes de chat.

« Et tu ne pouvais même pas me dire d’arrêter…

— Tu aurais retiré ta main. Et j’avais envie que tu la laisses où elle était.

— Tu as eu mal ?

— Je mentirais si je disais non. »

Elle se pencha sur lui et posa ses lèvres sur la plaie. Elle faisait le deuxième pas, elle n’avait pas trouvé d’autre moyen de s’excuser. L’odeur de Luc l’enivra comme un alcool fort. Elle avait toujours été sensible à l’odeur des hommes. Ils pouvaient être beaux, prévenants, intelligents, être dotés de toutes les qualités, elle ne restait pas une heure de plus avec eux si leur odeur lui déplaisait. On s’accommode d’un physique ingrat, d’une voix de fausset, d’une saveur âpre, d’une peau rugueuse, impossible de tricher avec un sens aussi archaïque, aussi implacable, que l’odorat. Elle aimait l’odeur de Luc, elle aimait la texture de sa peau, elle aimait son visage, ses yeux, ses cheveux, son corps, sa voix, son mystère, elle était raide dingue de Luc, elle n’avait plus la force de se défendre, ses digues se rompaient enfin, elle se laissait emporter par le courant, elle acceptait le risque, elle signait de son sang, tant pis si les démons la guettaient sur les récifs en lui promettant déceptions et désillusions. Il lui glissa la main sous le menton, lui releva doucement la tête jusqu’à ce que leurs lèvres se joignent. Elle aima la saveur et la barbe piquante de Luc.

Le camion s’arrêta de nouveau, le moteur se tut cette fois après une série de hoquets d’agonie. Luc se détacha à regrets de Jemma et jeta un coup d’œil par la déchirure de la toile. Ils étaient perdus sur un plateau hérissé de pitons rocheux coiffés de chapeaux arrondis. La neige tombait en abondance et restreignait la visibilité à moins de cinquante mètres.

« Je vais voir ce qui se passe, dit Luc.

— Tu oublies qu’on ne doit pas se montrer en plein jour, objecta Jemma.

— Aucun danger : il n’y a personne d’autre que nous sur cette foutue piste.

— Je t’accompagne. »

Ils s’emmitouflèrent dans des couvertures avant de s’aventurer dehors. Les flocons gros comme le poing se posaient sur les reliefs dans un crissement soyeux. Il n’y avait pratiquement pas de vent, le froid ne paraissait pas virulent, il s’immisçait peu à peu sous les diverses couches de vêtements, s’emparait des corps en traître, se diffusait ensuite jusqu’aux nerfs, jusqu’à la moelle. Le genre de froid qui tuait un homme sans qu’à aucun moment il ne puisse s’en défendre. Ils trouvèrent les deux Irakiens à l’avant du camion, penchés sous le capot relevé. Une importante coulée de neige avait coupé la piste un peu plus loin.

Ali pointa l’index sur une durite fêlée d’où s’échappait un léger panache de fumée, puis il montra tour à tour le ciel et la piste : ils ne pourraient pas franchir le col tant que la neige continuerait de tomber, il leur faudrait patienter, attendre que le temps s’améliore, Inch’Allah.

« On va crever de froid, on ne peut même pas faire de feu… »

Jemma ne parvenait déjà plus à maîtriser sa voix ni les tremblements de ses membres.

« Il faut qu’on se tienne tous les quatre dans un espace fermé, avança Luc. Qu’on récupère un maximum de chaleur humaine. »

Il se mit d’accord avec les Irakiens pour installer une cellule de survie à l’intérieur de la remorque. Ils récupérèrent toutes les couvertures disponibles, en étalèrent deux sur le moteur avant de refermer le capot, dressèrent, au fond de la remorque, une cabane de tissu d’un mètre cinquante de longueur, d’un mètre de profondeur et d’un mètre de hauteur, fixée d’un côté aux ridelles et de l’autre aux caisses de poisson. Ils y entassèrent toutes les vivres disponibles ainsi que deux bouteilles de thé auparavant tenues au chaud dans un compartiment attenant au moteur. Après avoir vérifié que les portes et les vitres étaient hermétiquement fermées, ils se faufilèrent dans leur abri précaire. Jemma et Luc s’assirent contre la cloison du fond et se blottirent l’un contre l’autre, Ali et Hussein s’adossèrent, en face d’eux, aux caisses de poisson soutenant les couvertures et se tinrent également tous les deux serrés. Ils burent du thé encore chaud dans deux gobelets d’argile, puis ils mangèrent des galettes de blé dures et des dattes séchées. Jemma ne parvenait pas à se réchauffer malgré la proximité de Luc, les calories apportées par la nourriture et la température plus clémente sous les couvertures. Le froid débordait de ses pieds et de ses mains pour gangrener son tronc, son cou et son cerveau. Alarmé par ses tremblements, Luc la déchaussa, lui retira ses chaussettes et la tourna vers lui pour glisser ses pieds nus sous son tee-shirt. On n’entendait pratiquement plus le crissement des flocons sur la bâche. La neige s’accumulait sur le camion. Elle avait le mérite de l’isoler du froid en bâtissant une sorte d’igloo autour de lui, mais elle risquait, si elle continuait de tomber avec la même intensité, de les ensevelir définitivement. Le sang circulait à nouveau dans les pieds de Jemma, accompagné de douleurs fulgurantes. Des épingles chauffées à blanc. Elle se recroquevilla contre Luc en position de fœtus pour récupérer un peu de sa chaleur. Elle avait vu, à la télévision, un reportage consacré aux « noyaux de chaleur » et jugé indécents ces entassements de corps anonymes dans les caves des immeubles en ruine. Elle comprenait maintenant que c’était pour les sans-abri la seule façon de survivre dans les villes d’Europe assiégées par l’hiver. Cette fichue tendance à juger ce qu’elle ne connaissait pas.

Le silence sépulcral absorbait tous les bruits, y compris la respiration sifflante de Hussein assoupi. Jemma lutta de toutes ses forces contre le sommeil qui l’engourdissait. Elle ne pouvait plus suivre le cours de ses pensées, elles s’égaraient dans un labyrinthe ténébreux, fascinant. Elle ne se réveillerait plus si elle s’endormait maintenant, la nuit n’était pas tombée, la mort exploiterait sa faiblesse pour s’emparer d’elle, je n’ai pas peur de la mort, plus maintenant, j’aimerais revoir Manon avant, une seule fois, je voudrais rester encore un peu avec Luc, quelques jours, je n’ai pas commencé ma vie, je ne suis pas née… pas née…

Elle se réveilla en sursaut. Son premier réflexe fut de se reprocher son manque de vigilance. Elle se promit d’être plus attentive la prochaine fois. Sa deuxième pensée fut de se dire qu’elle avait de la chance d’être en vie. Elle ouvrit les yeux, tendit le bras, balaya l’espace, se rendit compte que Luc et les deux Irakiens avaient quitté l’abri. Avant de sortir, ils avaient détaché quelques-unes des couvertures qu’ils avaient étalées sur elle. De même, ils lui avaient remis ses chaussettes et ses chaussures. Elle remua sans difficulté ses doigts de pieds, signe que le froid avait totalement déserté son corps. Elle demeura quelques instants à l’écoute du silence, finit par entendre des coups répétés et lointains, se redressa. Saisie d’un léger vertige, elle avisa une galette de blé laissée sans doute à son intention ainsi qu’une bouteille à moitié remplie. Elle mangea un bon tiers de la galette, but plusieurs gorgées de thé froid, rampa ensuite hors de la cabane de tissu, ou de ce qu’il en restait, parvint à se lever, s’appuya sur une caisse de poissons jusqu’à ce que ses jambes cessent de flageoler. Une faible lumière se glissait par les interstices de la bâche. La nuit n’était pas encore tombée. Elle avait donc dormi deux ou trois heures. Les coups résonnaient de plus en plus fort tout autour d’elle. Elle se demanda ce qu’elle devait faire, puis, n’y tenant plus, elle décida d’aller voir ce qui se passait dehors. Elle écarta un pan de la bâche. Se trouva face à une paroi d’une blancheur menaçante qui montait pratiquement à hauteur de son visage. Un mur de neige. Les hommes l’avaient creusé sur un côté pour se frayer un passage. Elle aperçut, par l’espace libre entre le faîte du mur de neige et le haut de la remorque bâchée, un pan de ciel d’une pâleur matinale. Le jour ne se couchait pas, il se levait. Elle avait dormi toute la nuit. Une quinzaine d’heures d’affilée.

« Luc, tu es là ? » cria-t-elle.

Sa voix sembla se pulvériser dans le silence. Les coups s’interrompirent. Quelques instants plus tard, Luc se glissait sous la bâche, suivi d’Ali et de Hussein. Des fragments de neige dure s’accrochaient à leurs vêtements, à leurs turbans, à leurs cheveux, à leurs chaussures et à leurs gants. Les deux Irakiens étaient munis d’outils aux manches courts qui ressemblaient à des pioches ou des bêches, Luc d’un large racloir métallique.

« Comment te sens-tu ?

— Ça va. Qu’est-ce que vous fichez dehors ?

— La neige est tombée toute la nuit, il y a eu des coulées depuis les pentes voisines, on essaie de dégager le camion.

— On a des chances de repartir ? »

Luc haussa les épaules.

« Je ne sais pas si le camion est capable de redémarrer. » Il désigna Ali et Hussein d’un mouvement de tête. « Faisons-leur confiance : ils sont débrouillards. Ils ont dû le remettre en route un paquet de fois.

— Qu’est-ce que je peux faire pour vous aider ? »

Luc la prit dans ses bras et l’embrassa sur les lèvres.

« Attendre au chaud. Et, surtout, rester en vie. »

Les Chemins de Damas
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